mercredi 22 juin 2016

Chevalchant par l'estrée



L'été vient d'arriver et nous sommes à quelques semaines des vacances. Certains d'entre vous partirons en Bretagne, respirer l'air marin et déguster quelques crêpes. Vous y croiserez, sur les panneaux signalétiques, la langue celtique du cru, cousine du gallois. Et vous serez sûrement surpris de voir le mot straed pour rue, qui ressemble étrangement à l'anglais street ou à l'allemand Strasse.

Etonnante proximité entre langues celtique et germanique. A quoi est-elle due ? Tout simplement à l'histoire de l'Europe, et plus précisement à son histoire antique. En effet, il s'agit d'un emprunt très ancien, largement répandu dans les langues germaniques, d'un mot de latin tardif. Une via strata, qu'on a raccourci en strata était une route pavée. Il semble logique que les peuples européens de l'Antiquité aient choisi un nom provenant de la langue des bâtisseurs de ses voies !

Bizarrement, il ne s'est que peu conservé dans les langues latines. Le roumain utilise strada sur les plaques des noms de rue, mais il semble qu'il soit le seul. L'ancien français connaissait le mot estrée. On peut ainsi voir dans le roman de Horn le roi "chevalchant par l'estrée". Depuis, nous ne le retrouvons que dans des toponymes.

mardi 21 juin 2016

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement



Cette année a vu naître de nouvelles régions en France. Le débat public s'est alors emparé d'un sujet crucial : leur trouver un nom. Cela n'est pas chose facile comme nous allons le voir, et les trouvailles ne sont pas franchement à la hauteur de l'évènement. 

Ainsi l'assemblage des régions Nord et Picardie sera affublé, après consultation populaire, d'un "Hauts de France" assez déroutant d'un point de vue lexical. En effet l'acception géographique usuel de l'adjectif "haut" est celle de territoires ayant une altitude élevée, ou étant éloignés de l'embouchure d'un fleuve - ou proche de sa source, ou encore éloignés de la mer. Ce qui n'est pas vraiment le cas de cette région qui serait plutôt des Pays-Bas français, pour leur continuité culturelle et physique avec le Bénélux - composé des Pays-Bas, de la Belgique, anciennement Pays-Bas espagnols et du Luxembourg. L'adjectif "haut" n'indique le Nord que dans quelques expressions, comme par exemple, les "hautes latitudes". Pierre Loti nous offre une description du climat de ses territoires qui correspond bien au cliché : "Même dans les humidités pénétrantes, continues des hautes latitudes, jamais on ne se chauffe, jamais on ne se sèche". Vous me direz qu'on a ici un substantif. En effet, mais il n'existait pas encore d'exemple où le nom "haut" désignerait un territoire septentrional. On ne connaissait que des Hauts-de-Seine, de Meuse ou de Moselle. 

Une autre consultation crée une polémique. Il s'agit de la désignation d'une partie du Midi, les anciennes régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. On y parle historiquement, sauf dans sa partie catalane,  l'occitan, aussi appelé langue d'oc. Et c'est par cette caractéristique culturelle que l'administration des rois de France l'a désigné. Mais voilà, ce n'est pas le seul territoire où on la trouve. Ainsi, les Pays d'Oc rassemblent aussi les provinces de Guyenne, de Gascogne, d'Auvergne, du Limousin, de la Marche, de Provence, du Dauphiné pour partie, le Val d'Aran en Espagne et quelques vallées alpines d'Italie. Si le terme "Languedoc" reste attaché soit à la province historique, soit à l'ancienne région administrative, "Occitanie" s'emploie aujourd'hui pour désigner l'ensemble des territoires occitanophones. Il s'agira alors de trouver un moyen de ne pas confondre ses deux espaces géographiques, en réintroduisant d'anciens termes, comme je viens de le faire avec  "Pays d'Oc", ou en en inventant de nouveaux.

Pourquoi ces noms de régions créent autant de débats ? Tout simplement parce que, comme le soulignait Boileau, "ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement", et que nous avons bien du mal à concevoir ces bizarreries géographiques inventées lors d'obscures tractations politiques. Nous pouvons pourtant tous nommer l'endroit où nous vivons, quand bien même ce mot n'apparaitrait pas sur une carte administrative. 



vendredi 3 juin 2016

Au pays de Valois et de Pycardie, il y a une sorte de sorcieres qu'ils appellent cochemares



Le blog vient de recevoir ses premiers commentaires. Merci à Tartafione qui nous fournit ainsi de nouveaux sujets d'article. Aujourd'hui, je vais vous parler d'un être maléfique qui hante nos nuits : le cauchemar.

Car, si vous ne le saviez pas, les mauvais rêves sont dus à un démon nocturne qui vient nous oppresser. A moins que cela ne soit une sorcière, comme on le pense en Picardie et en Occitanie. Cet être reçoit le nom de mare en ancien picard, terme moyen néerlandais, et hante également les nuits des petits outre-manche, où il devient le nightmare. Et que fait-il ? Et bien, il nous foule au pied, il nous chauche comme on le disait au Moyen-Age, nous provocant une suffocation qui nous réveille en sursaut. Le mot en français moderne vient d'un mélange entre dialectes d'oïl, entre chaucher et sa version picarde cauquier. 

En Occitanie, on dit, quand on cauchemarde, que la fauchiniera nos a chauchat, que la sorcière nous a foulé au pied, comme du raisin. C'est pour cela qu'on y nomme le cauchemar, la chauchavièlha, la vieille qui nous chauche. Je vous souhaite, tout de même, de passer une bonne nuit !


 

mercredi 1 juin 2016

Un vaste sérail de gélines

Après le coq, restons dans la basse-cour avec la poule ! Mais cette fois-ci, j'ai déjà un début de réponse à la question : la gallina romaine a-t-elle une descendante française ? C'est en effet le cas, et je ne vous parle pas de la galinette cendrée des Inconnus. Il s'agit de la géline de Touraine, une race de poule domestique, au plumage noir et à la chair délicate et fine.



Le terme "géline" a pu, par ailleurs, se conserver dans différents dialectes d'oïl, en concurrence avec le mot "poule" et laisser quelques traces dans notre littérature. Ainsi, Louis Pergaud, nous présente le coq "Pacha tout puissant et jaloux d'un vaste sérail de gélines" dans De Goupil à Margot. Mais, où logent ces volatiles ? Dans un gélinier, bien-sûr ! Et dans le poème Ma Chaumière, Aloysius Bertrand nous parle son plaisir "d'entendre [son] coq s'égosiller dans le gelinier".

Comme pour contredire la nature, la tradition populaire nous place notre géline dans le ciel. Dans la constellation des Pléiades, l'étoile la plus brillante semble être une poule entourée de ses poussins : La Géline Poussinière. Voici l'explication que nous en donne l'astronome Camille Flammarion : "Dès les premiers âges de l'humanité, ils [des groupes d'étoiles] ont reçu des noms empruntés d'ordinaire au règne organique, qui donnent une vie fantastique à la solitude et au silence des cieux. Ainsi furent distingués de bonne heure les sept astres du nord ou le chariot dont parle Homère, les Pléiades ou la «Poussinière»".


mardi 31 mai 2016

Vous savez l'auberge du Geault-Rouge ?




Le championnat d'Europe de football va bientôt débuter en France, et nous verrons fleurir de jolis coqs sur les t-shirts. A propos de notre fier emblème national, il peut paraître étonnant de constater que le français est une des rares langues romanes a ne pas avoir conserver le terme latin gallus. En effet l'espagnol et l'italien ont gallo, le portugais galo, le catalan gall. Par ailleurs, le coq poitevin s'appelle jhàu quand son voisin d'oc est le limousin jau. Y aurait-il alors un descendant français de ce mot ou faut-il y voir une infiltration nord-occitane ?

La réponse est simple. Le français médiéval connaissait le mot jal. On a pu le trouver sous différentes formes, tout comme en occitan aujourd'hui : gal, gau, jal, jau. Cependant, cette dernière semble être demeurée dans les dialectes d'oïl. Ainsi, Frédéric Godefroy, dans son Dictionnaire de l'Ancienne Langue Française de 1880, nous dit que "le coq s'appelle encore jau dans une grande partie de la France : dans le Berry, dans le Bourbonnais, dans la Champagne, dans le Poitou, dans l'Aunis, dans la Saintonge, dans les Vosges, dans la Lorraine". 

Alors, justement, profitons-en pour nous faire inventer par George Sand, dans une auberge de sa région.

"A cette époque, une seule maison s'élevait dans cette solitude ; c'était une hôtellerie en même temps qu'une sorte de rendez-vous de chasse.

L'éminence, située au milieu de vastes plaines giboyeuses, étant souvent honorée de la halte des seigneurs du pays qui se réunissaient pour courre le lièvre, et pour dîner ou souper à l'enseigne du Geault-Rouge." (George Sand, Les Beaux Messieurs de Bois-Doré, 1858).


lundi 30 mai 2016

Le Lexicophile



Qu'est-ce qu'un lexicophile ? Ce mot est composé du préfixe lexico- provenant du grec lexicon signifiant "lexique" et du suffixe -phile, provenant du grec philos, "ami". Littéralement, l'ami des mots, l'amateur de mots. Mais vous ne trouverez pas ce terme dans le dictionnaire. Seul l'Urban Dictionnary en donne une définition en anglais : "Personne littéralement dépendante à la recherche et la connaissance des mots qu'elle ne connait pas. Les lexicophiles recherchent constamment des mots dans le dictionnaire."

Au delà de la description du comportement pathologique auquel je suis sujet, ce néologisme me semble adapté au projet de ce blog : faire découvrir les mots, leur histoire, leurs sens. Je vous propose de partir à la découverte du lexique de la langue française, mais aussi de ses cousines latines voire indo-européennes et des voisines avec lesquelles elle n'a de cesse d'interférer.

Ce blog sera aussi le vôtre si, comme moi, vous souffrez d'un toc d'ouverture de dictionnaire - qu'ils soient sous forme papier ou en ligne - et que les voyages lexicaux dans l'espace et le temps vous attirent. N'hésitez pas à me poser des questions sur tel ou tel terme, je me ferai un plaisir de mener l'enquête.